La profession, comme chaque année à la nuit des Molières rend hommage à ses chers disparus. Cette année nous avons eu la tristesse d'y voir figurer le nom de René Jauneau (entre Roger Hanin et Régine Lovi), fondateur des Nuits de l'Enclave des papes , il y a 50 ans .
Photo : captation écran Antenne 2
C'est l'occasion pour nous de publier ce billet de belle humeur écrit par Serge Pauthe qui fut animateur, formateur, comédien ou metteur en scène dans de nombreux festivals dans l'enclave depuis 50 ans...
BILLET DE BELLE HUMEUR
« Le théâtre ne tient pas en place.
Il faut sans cesse le ramener à ses origines. Il ne faut surtout pas le domestiquer, lui faire entendre raison. Simplement le laisser trouver la voix qui le rendra audible, l'artiste qui l'apprivoisera le temps d'un acte éphémère.
Le théâtre est comme un arbrisseau qui végète là bas, tout au fond d'un jardin. ouvent délaissé car on s'occupe plutôt des plantes grasses et comestibles, qui rapportent gros aux marchés d'alentours. On croit qu'il va s'étioler et se faner dans la luzerne. Mais il résiste, attendant patiemment le bon jardinier, une sorte d'Alain Baraton qui prend soin du parc du château de Versailles en s'occupant autant des grands arbres feuillus que du chèvrefeuille...
Il y avait donc ici, sur cette terre de Vaucluse, entre la vigne et la lavande, un petit arbrisseau qui attendait son jardinier. Il croupissait entre les pavés de la cour du château de Simiane à Valréas. Personne ne prenait soin de lui. Aucune âme charitable ne déversait de la bouillie bordelaise sur son pauvre squelette pour apaiser ses souffrances.
Il s'accrochait vaillamment au peu de terre qu'il lui restait. Son remède de survie avait pour nom "l'espérance" et ça ne coûtait pas un sou.
En l'an 1965 après Jésus Christ, je précise, René Jauneau, sa femme et ses petits princes-comédiens en herbe firent une pause devant le château de Simiane. Ils tirèrent de leurs sacs quelques planches, une pièce de Molière, des masques, deux ou trois costumes,
et lancèrent des mots et des phrases, des gestes et des mimiques inspirés par cet auteur immortel.
Tout ceci jeté à la volée comme le fait le semeur au printemps. L'arbrisseau alors reprit vigueur et devint l'arbre qui ne cachait plus la forêt peuplée d'autres fous de théâtre.
Et tous ces jeunes gens, garçons et filles, n'attendaient que ce miracle pour envahir chaque été ce lieu devenu haut lieu de l'art dramatique.
Depuis bientôt cinquante ans, ce Festival dure et perdure.
Il semble parfois oublié dans ce déferlement d'évènements estivaux donnés sous le pur ciel de Provence. L'éclat de ses voisins prestigieux ne lʼa pas fait vaciller.
Il s'en est fallu de peu pourtant qu'il ne redevienne qu'une plante grimpante le long du mur du château. Heureusement, une sage et courageuse décision lʼont sorti d'un destin fatal. En l'an 2012, le Conseil d'administration de l'association des Nuits de l'Enclave, soutenu par la mairie de Valréas et le Conseil Général du Vaucluse, a nommé Gilbert Barba à la direction artistique du Festival. C'est un metteur en scène de grande qualité, je peux en témoigner, doublé d'un animateur qualifié pour redonner son élan à ce Festival et à sa première vocation: l'éducation populaire. Car le théâtre ne peut se développer que grâce à des artistes qui ne se cantonnent pas seulement à l'exercice de leur art. Il suit, me semble t-il, ce précepte de Jean Vilar qui s'exprime ainsi dans son livre "Théâtre, service public":
"Je ne me perds pas dans la société. Je m'y retrouve. J'ai le besoin nécessaire de connaître, de mieux connaître , de me plonger au sein de ce public, de cette société dont je vis, de ce groupement d'êtres qui sont mes chers contemporains et qui partagent avec moi les angoisses collectives, les folies meurtrières, certains vices, quelques vertus"...
Ainsi ce festival des Nuits de l'Enclave renaît aujourd'hui.
Gilbert Barba, avec le soutien de son équipe, de sa Présidente Béatrice Soulier et des membres du Conseil dʼadministration, installe à Valréas et dans les villages de l'Enclave un théâtre produit par d'excellentes troupes professionnelles. Le public ne sʼy trompe pas et peut apprécier des œuvres qui ne dépareraient pas dans la programmation de ses voisins prestigieux. Et dans cet élan, il faut que les spectateurs d'alentours profitent aussi tout au long de l'année de créations ou d'invitations de cette qualité. Redonner du "mieux théâtral" à Valréas, comme cela se passait autrefois, et accueillir des acteurs professionnels de grand talent, voilà ce qui permettrait de faire vivre les artistes qui sont en grande difficulté, comme chacun sait. »